dimanche 2 décembre 2012

Des tartes pour les infirmiers

Ou comment étouffer les revendications infirmieres ?



La gourmandise des infirmieres les perdra

Quand plus rien ne va dans un service de soins, apportez de la nourriture !

S'il y a bien une chose que nos patients et nos "chefs" ont compris c'est que les infirmiers sont gourmands. Après des années à se nourrir des plateaux-repas amoureusement préparés dans les cuisines de l'hôpital, l'infirmière devant un aliment goûteux et présentable est telle une jeune pucelle devant son prince charmant: l'eau à la bouche, son estomac se tordant de désir, elle ne répond plus de rien, elle oublie tout le reste.

Personnellement, j'aurai préféré qu'ils comprennent notre douleur, notre colère, notre frustration. Qu'ils soient assez fins pour savoir que ce n'est pas normal de se mettre en transe devant une boite de chocolats. Que notre gourmandise n'a d'égal que ce vide qui se creuse en nous au fil du temps pour finalement nous transformer en petits robots du soin.

Service de médecine, jour. Ça râle, ça râle, ça râle de plus en plus et de plus en plus fort chez les infirmières. Il y a quelques mois encore, ce service était très réputé, les conditions de travail bonnes. Trop bonnes pour nos dirigeants, ils ont supprimé, "omit de remplacer", un poste d'aide-soignant et un poste d'infirmier par équipe. Alors forcément, maintenant on court partout, on délaisse les patients qui sont d'ailleurs de plus en plus nombreux, tarification à l'acte oblige. L'idée de vider sa vessie ou de boire un verre d'eau devient une douce utopie.

Mais c'est sans compter sur notre bon chef de service qui a flairé que sa côte de popularité descendait en flèche. Il nous convoque donc à 13h pour une réunion exceptionnelle. Enfin nous allons être entendues, il va comprendre l'impossibilité et surtout la dangerosité pour les patients de continuer dans ces conditions.

Nous nous présentons donc à 13h tapante en salle de repos, prêtes à en découdre.

Sur la table, un buffet digne d'un jour de fête : des petits fours, des entrées, de la viande, du champagne pas du plus mauvais cru, deux grosses et belles tartes.

Le professeur nous fait son petit discours, il est ravi, que dis-je, fier, il est FIER de son équipe d'infirmières qui malgré les difficultés actuelles parviennent à fournir un travail d'une qualité exceeeeptionneeeelle ! Mais ne perdons pas plus de temps en paroles, mangeons!

Que répondre à ça, merci papa ?

vous l'avez déjà compris, cortiqués que vous êtes, que les plats m'ont laissé un goût amer.

Je les ai entendus, les chefs de clinique, expliquer à leurs externes fraîchement débarqués qu'il fallait se mettre les "petites" infirmières dans la poche, et que pour ce faire, rien de tel que d'amener les croissants de temps à autre.

Étouffer la rage qu'on a dans le ventre à coup de nourriture.

La bouffe c'est notre Inexium, notre Mopral, notre Inipomp à nous. Notre IPC, inhibiteur de la pompe à colère. Nous sommes comme des fauves en cage à qui on jette un bout de viande pour ne pas qu'ils mordent. Nous sommes comme des otaries de cirque bien dréssées qu'on récompense d'un poisson frais après avoir effectué moults acrobaties.

Les deux grosses tartes restent particulièrement gravées dans ma mémoire. Quel choix symbolique ! Et sur deux niveaux qui plus est ! Du grand art, un coup de maître. Était-ce conscient ? Un acte manqué ?

Les infirmières ce jour là ont quitté le service le sourire aux lèvres, repues, enorgueillies par les compliments du chef. Apaisées jusqu'au prochain banquet.

Je ne travaille plus dans ce service, mais la période de Noël étant arrivée, quelque chose me dit qu'on leur servira des huîtres.

Pour un autre témoignage sur la manière dont on se fiche de la tête des IDE, cliquez ici


3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Infirmière belge, je comprends tout-à-fait l'état d'esprit dans lequel vous vous trouvez. J'aimerais prendre contact avec vous afin d'en apprendre plus sur le mouvement dont vous faites partie!

    Au plaisir de vous lire,

    Muriel

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    1. Bonjour Muriel,
      Merci pour votre commentaire. Vous pouvez me laisser votre adresse email en commentaire, je ne le publierai pas, afin que je puisse vous contacter.
      Bonne journée et surtout : bon courage!

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  2. La carotte, ma soeur, toujours la carotte...
    Chez les hommes c'est plutôt les matches TV en salle de repos qui les font se tenir tranquilles. Chacun ses valeurs hein...

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