samedi 9 février 2013

Suis-je une machine ?





Il y a 10 ans, quelque part dans l'hémisphère Sud.

4h45, réveil au clairon comme six jours par semaine.
15 minutes pour enfiler ma tenue de travail : pantalon, chaussures fermées et manches longues obligatoires.

Dehors les perroquets commencent à chanter.

L'odeur des œufs, haricots et bacon me titille les narines. Devant la cantine, 200 corps meurtris, courbaturés, parfois blessés attendent avec impatience le premier repas de la journée .

Contrôle d'entrée pour tout le monde, interdiction d'être sale.

Je suis dans un vaste camp de travail, je cueille des pêches toute la journée.

5h30, on rejoint la camionnette correspondant à notre numéro de "gang" comme ils disent. 10 minutes de trajet, 10 minutes de répit. On nous emmène au milieu de nulle part, des centaines de pêchers plantés en ligne.
Chapeau, gants, talc, échelle, sac, c'est parti. Il n'est pas encore 6h00, bientôt la chaleur deviendra écrasante , jusqu'à 40 degrés. Il faut faire vite.

Je suis payée au quintal. Je cueille 2,5 à 3 tonnes les bons jours.

À travers champ je porte mon immense échelle, 20 kilos à bout de bras. Cherche un bout de sol à peu près plat pour être stable. Je cueille les pêches à une allure vertigineuse. On m'appelle la machine. Quand le sac commence à être trop lourd, 30 à 40 kilos, je descends de l'échelle et déverse les pêches dans un bac. Parfois le poids me déstabilise et me fait tomber. Ce n'est pas un travail de fille me répète t-on. Qu'est ce qu'un travail de fille ? Par esprit de contradiction je n'abandonne pas.

11h30, pause déjeuné.
30 minutes de répit à l'ombre d'un arbre. Deux sandwich, un soda. Certains carburent au redbull. Malheureusement j'ai horreur de ça.

L'après-midi ressemble au matin, mais l'énergie n'y est plus. Toujours rester vigilante, une morsure de serpent est vite arrivée dans cette région .

15h45, la camionnette vient nous chercher. On s'y traîne, épuisé. 10 minutes de sieste intense jusqu'au retour au camp. Douche. Re-sieste.

17h00: dîner. Nouveau contrôle d'entrée, tout le monde doit être propre et changé.

18h00, c'est l'heure de décompresser. Guitare, djembé, didjeridoo, vin bon marché en cubis, jeux de carte. Rien de trop intellectuel surtout, il faut savoir s'assommer pour travailler comme des bêtes. De belles rencontres. De bons souvenirs.

22h00 extinction des feux. Verifier l'absence d'araignées potentiellement mortelles dans sa cellule. Dans le camp la coqueluche fait des ravages. Des quintes de toux m'empêchent de fermer l'oeil, je vomis de la poussière de pêche.

Après 3 mois dans mon camp et 20 000 dollars en plus sur mon compte en banque, c'est avec nostalgie et des bras de camionneur que je m'en vais sans savoir ce que me réserve le futur.



Dix ans plus tard.

4h45, le réveil de mon portable me sort du lit. Je saute sous la douche 15 minutes, cherche à tâtons des vêtements dans mon armoire. Je n'allume pas la lumière pour ne pas réveiller tout le monde.

Très vite l'appel du café se fait sentir, je comate dans ma cuisine en lisant sur mon androïd les nouvelles du jours. Je peste, que des conneries.

Dehors, j'entends déjà le chant des camions poubelles.

5h45 je rejoins le premier métro qui me mènera jusqu'à un grand CHU. 30 minutes de stress. Incident technique ? Voyageur malade ? Colis suspect ? Je suis obligée de partir bien en avance pour faire face aux habituelles embûches des transports en commun.

6h20 : vestiaire. J'enfile ma tenue de travail, pantalon, chaussures fermées et manches courtes obligatoires. Je prends celle qui a le moins de tâches de bétadine. Obligation d'être propre. Stylo, ciseau, pince à clamper et c'est parti.
Je travaille à l'hôpital, je suis payée au mois. J'ai entre 20 et 15 patients les bons jours.

6h30, je rejoins mon équipe, courbaturée, meurtrie, souvent blessée.. Comme mes patients.
Transmissions. La journée s'annonce dure, il va falloir faire vite. Bientôt je serai sans cesse interrompue par les visites, les sonnettes et le téléphone. Ça va être chaud.

7h00 je commence ma tournée. Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...j'enchaîne les soins à une allure indécente. Je suis une vraie machine. Parfois un patient me déstabilise et me fait perdre du temps. On me dit que je fais un travail de fille. Devrais-je abandonner ?

10h00: "petit-déjeuné" sur le pouce, dans la salle de pause, à la lueur des néons. Un bout de pain sec, parfois il reste du beurre et un café. Certains carburent au Lexomyl. Malheureusement j'ai horreur de ça.

La matinée n'est pas terminée, l'énergie n'y est plus. Il faut rester vigilante à l'erreur si vite arrivée et dont le venin de la culpabilité vous empoisonnera jusqu'à la fin de votre vie.

13h30, la relève commence à arriver.

14h00 : Retour à domicile, épuisée. Je me traîne jusqu'à ma station. 30 minutes de métro, 30 minutes à ressasser. Ai-je oublié quelque chose ? Ai-je bien fait de faire comme ça ?

15h00 : douche et sieste.

16h00: la vie reprend son cours. Ménage, courses, paperasse, repas. Peu de temps pour décompresser. Un peu de télé. Rien de trop intellectuel surtout, pour travailler comme une bête il faut savoir s'assommer.

22h30 extinction des feux. Chez les soignants les lombalgies font des ravages. Les douleurs au dos m'empêchent de m'endormir. Parfois je repense à tous ces visages croisés il y a 10 ans. Que sont-ils devenus eux ? Sont-ils heureux ? Quel chemin ont-ils pris ? Ai-je pris le bon ?

Après 3 mois et -300 euros sur mon compte en banque, je quitte sans nostalgie et avec des bras de camionneur cet hôpital en espérant un futur meilleur.

jeudi 7 février 2013

Douce France

Ce pays où l'euthanasie est interdite


Il existe un pays où l’euthanasie est interdite. Peur des dérives d’une part, influence d’une morale judéo-chrétienne d’autre part.
Il existe un pays où l’on a peur de prendre des décisions qui fâchent. Peur de prendre des responsabilités d’une part, influence d’un système économique contrôlé par une petite poignée bercée par la morale judéo-chrétienne d’autre part.
Il existe un pays laïc.

Il existe un pays où les soins palliatifs sont l’alternative à l’euthanasie.
Il existe un pays où faute de moyens financiers investis, seules quelques personnes ont accès aux soins palliatifs.
Il existe un pays où le traitement de la douleur est une obligation légale.
Il existe un pays plein de paradoxes.

Il existe un pays où les laboratoires de proximités vont fermer.
Il existe un pays où l’on pense retirer le permis de conduire aux personnes âgées.
Il existe un pays où les taxis ne seront plus remboursés comme transports médicalisés.
Il existe un pays où une autre alternative à l’euthanasie est en train d’être trouvée…

Il existe un pays où quelques indignés résistent.
Il existe un pays où  certains sont trop sensibles pour rester passifs face à la souffrance.
Il existe un pays où certains tirent la sonnette d’alarme.

Il existe un pays où certains n’ont pas oublié que la non assistance à personne en danger relève de la responsabilité pénale.