jeudi 3 janvier 2013

Ce cancer qui me fait baisser les bras


Ou pourquoi je ne peux pas travailler en oncologie.



Une cellule cancéreuse

Le cancer me fait peur

En tant que soignants, on a tous nos limites, en déplaise à certains.
La mienne c'est le cancer. L'idée de travailler dans un service d'oncologie m'angoisse au plus haut point.
La vérité, c'est que c'est le cancer en lui-même qui m'angoisse. Le moindre truc qui ne tourne pas rond chez moi ou l'un de mes proches et je m'imagine déjà une tumeur grossissant sournoisement dans le corps, créant des métastases un petit peu partout.
Hypocondriaque me direz-vous ? Pas vraiment, je n'ai pas peur des autres maladies, je ne redoute pas les crises cardiaques, les AVC ou les scléroses en plaques. C'est uniquement cette saloperie de cancer que je n'arrive pas à apprivoiser parce que je sais en mon fort intérieur, qu'un jour ou l'autre il me tombera dessus. Je viens d'une famille où il fait des ravages, je le sens tapi dans mes gènes, je l'ai peut être transmis à mon enfant.

Alors non je ne peux pas travailler en oncologie. Je ne peux pas affronter chaque jour ce que je redoute le plus pour mes proches et pour moi. Je ne peux pas revivre perpétuellement des souvenirs douloureux. La maigreur, les vomissements provoqués par la chimio, la fatigue inexprimable, la douleur des métastases osseuses,  mais surtout la tristesse du désespoir, l'angoisse de la mort plus que jamais matérialisée par ce crabe insidieux qui nous détruit toutes les heures un peu plus.

Non je ne peux vraiment pas travailler en oncologie. Je ne peux pas aider un patient à affronter cette terrible maladie alors que je n'arrive même pas à en appréhender l'idée sans être parcourue par un frisson glacé. Je peux prendre en charge un patient atteint de cancer dans un service de médecine ou de chirurgie. Mais prendre en charge uniquement des patients cancéreux, qui plus est dans un service dédié à cette maladie, non.

J'ai dit à une cadre de santé que je ne voulais pas travailler en oncologie. Elle m'a comme qui dirait envoyée sur les roses. Elle n'a pas cherché à comprendre pourquoi. On soigne des patients pas des maladies. Certes, je ne peux pas la contredire. Je soigne des patients. Un humain soigne des patients, un médicament des maladies. Un humain a des limites. Un soignant est un humain. Un soignant a des limites. Ma limite c'est le cancer.CQFD.


Les soignants face à leur représentation de la mort


" Heureusement que tout le monde n'est pas comme vous ! "

Tout le monde n'est pas comme moi, certains aiment l'oncologie et tant mieux. Je serai bien contente que des soignants qui aiment leur domaine s'occupent de moi quand j'y passerai. Mais tous les infirmiers ont peur d'un secteur en particulier. Ce secteur est celui qui selon nos représentations personnelles, conscientes ou inconscientes, nous renvoi à notre propre mort. Nous demander de côtoyer quotidiennement notre propre mort revient à nous demander de faire corps avec elle, danser avec elle sur le chemin de la vie. C'est une hérésie, un non-sens, une absurdité qui peut faire des ravages si elle n'est pas détectée. Chez moi la représentation de la mort est simple, le raccourci d'une consternante banalité : cancer =  ma mort. Ce qui explique que paradoxalement, je ne sois pas rebutée par les services de soins palliatifs. Chez d'autre cette représentation est plus complexe, plus difficile à mettre en lumière et peut mettre le soignant qui ne fait pas les bons choix de carrière en danger.

 Alors, non ne me forcez pas à travailler en oncologie, je ne suis pas prête, pas encore, je ne le serai peut-être jamais. Ne me mettez pas en avant les arguments de pluridisciplinarité, ne me culpabilisez pas de ne pas tendre la main aux cancéreux. Cette main moite et raidie par l'angoisse ne communiquerait rien d'autre que les profondeurs de mon impuissance. Non, ne me culpabilisez pas de connaître mes limites et de les respecter. Ne me montrez pas du doigt, car ce sont ces mêmes limites qui me font avancer, m'empêchent d'abandonner ce si joli métier, là où d'autres qui n'ont pas osé s'écouter ont fini par laisser tomber.

12 commentaires:

  1. hum hum...ca me parle tout ca..... meme combat ma belle, meme combat!

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  2. infirmière attaquée par crabus je peux te comprendre mais voudrait surtout de faire partager que le cancer ne tue plus systematiquement. Il serait bon de changer de regard sur cette maladie qui nous atteint au plus profond de nous même mais nous sommes nombreux à "vivre comme aprés".

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  3. Merci "Anonymous" pour ce témoignage. Il est vrai heureusement que le cancer n'a pas systématiquement que des issues malheureuses. Il y a le regard qui doit changer sur cette maladie comme tu le dis. Mais changer l'affect qui y est lié est bien plus difficile malheureusement et c'est là tout le problème en ce qui me concerne. Ton commentaire donne de l'espoir, merci .

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  4. J'ai perdu ma maman d'un cancer, (car en effet, on peut parfois guérir d'un cancer, mais c'est quand-même une belle saloperie qui bien souvent a le dernier mot) et une fois, quand elle était en chimio, j'ai demandé à une de ses infirmières comment elle pouvait supporter de travailler dans un service d'oncologie... Elle m'a répondu qu'elle ne changerait pour rien au monde, car c'est en oncologie que l'on fait les plus belles rencontres humaines...
    Elle a sûrement raison... Le seul et unique point positif du cancer est qu'il modifie bien souvent la vision de la vie, (des malades, et de leurs proches) et donne aux rapports humains une profondeur d'une intensité assez unique...
    Mais je comprends tes appréhensions. Moi aussi je me crois atteinte de toutes sortes de cancers dès que j'ai une courbature.... J'ai parfois eu envie d'offrir de mon temps pour aider des malades au travers d'associations ou autre, mais je ne m'en sens absolument pas capable, les souvenirs de maladie et de la fin de la vie de ma maman sont bien trop présents et douloureux.
    Tu as déjà un immense mérite à être infirmière!!

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  5. Marie ton témoignage me touche beaucoup, je suis désolée pour ta maman. Dans ce genre de situation, il faut accepter que le deuil prenne du temps à se faire, c'est parfaitement compréhensible que tu ne sois pas prête à travailler dans des associations.

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  6. Je suis infirmière en oncologie pédiatrique et je comprends ce que tu veux dire. Quand je dis où je travaille, tout le monde me regarde avec pitié et me dit que je dois "être folle pour travailler là-bas". Mais c'est un travail passionnant, avec énormément de guérison.
    Cependant, je comprends tout à fait ton point de vue. On a tous notre talon d'Achille. Moi c'est la neurologie, je serai incapable de travailler en neurologie. J'ai vu ma mère être transformée en légume par son AVC que jamais je ne pourrai supporter revoir ça à nouveau.
    On est humain, on fait ce métier avec ce que l'on est, ce que l'on a vécu. Les gens n'ont pas le droit de juger et de dire que c'est inadmissible de ne pas vouloir travailler ici ou là. Si on le dit, c'est pour notre bien-être, certes, mais c'est aussi pour celui des patients et de leurs familles.

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  7. Minipouss c'est exactement ça, on ne peut pas être aidant pour le patient dans ces cas là

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  8. On ne fait jamais ce métier par hasard ..si j ai choisi l'onco-palliatif ça n'a rien d'un hasard non plus...c'est en émotion, quand on veut bien faire on donne beaucoup mais on reçoit énormément entre les belles leçons de vie, la sérénité qu'on essaye de donner .....c'est assez magique ce qui se passe par là...

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  9. Merci Mimi, j'aime la façon dont tu décris ton domaine, heureusement que des personnes comme toi y travaillent.

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  10. Moi aussi j'ai beaucoup de mal avec cette pathologie. Surtout depuis mon stage en soins palliatifs je crois que cela a été le pire de tous. c'est une maladie vicieuse, et j'admire les gens qui luttent contre cette malade et ceux qui ont le courage, et la vocation de travailler dans ce service.

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  11. à l'approche de la mort on apprend beaucoup... mais comme tu l'écirs si bien on ne doit pas forçer les gens... chaque infirmière a ses aptitudes...

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  12. J'admire ta sincérité et je suis soulagée de ne pas être la seule à vouloir "fuir" devant certaines pathologies. Je suis toujours extrêmement choquée quand j'apprends une maladie grave chez un patient très jeune, je me dis que je risque un jour d'être à la place des parents, et ça me terrifie. Merci de m'atténuer mon sentiment de culpabilité!

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