samedi 14 juin 2014

Résistance






1942 : Paris occupé. Rosette fête ses 20 ans. Rosette entre en résistance. Elle prend tous les risques pour sauver son pays, pour refaire naître l'humain perdu dans les spirales de la haine. Haine devenue normalité à coups de propagande bien semée. Rosette est révoltée, mais Rosette est débutante. Rosette est arrêtée, enfournée dans un train bondé, vers une destination inconnue, vers un destin aujourd'hui tristement connu. Levée à 4h00, couchée à minuit, elle travaille sans relâche, la faim au ventre, la soif à la gorge, la peur au corps. La mort lui pend au nez, dans tous les sens du terme. Rosette sera une survivante, une miraculée.
2012 : Paris en crise. Juliette fête son diplôme. Juliette signe un CDI. Elle s'investit énormément dans son nouveau métier, accepte toujours plus sans broncher, pour refaire naître l'humain perdu dans le diktat du rendement. Diktat devenu normalité à coups de matraquage télévisé. Juliette est indignée mais Juliette est débutante. Juliette est vite happée par la routine, à force de courir pour s'enfourner dans le premier train bondé, à force de courir pour faire son travail à temps, à force de courir toujours tout le temps vers un avenir incertain, elle ne résistera pas longtemps.
Un jour Juliette croise Rosette. Rosette a 90 ans, elle n'a plus toute sa tête, Juliette non plus d'ailleurs.
Rosette est institutionnalisée, levée à 8h, couchée à 18h. On l'alimente, on l'hydrate, on la lave, on panse ses plaies incicatrisables, on la pose devant un ascenseur, on l'alimente, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur , on l'alimente, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur, on la change, on la couche. On la maintien en vie. Une vie étourdissante. Elle n'y survivra pas.
Juliette archive le dossier de Rosette. Et pour la première fois, elle prend le temps. Elle prend le temps qu'elle n'a pas de lire en détails l'histoire de vie de cette grande dame. Des bribes de souvenirs éclaboussent sa mémoire endolorie. Quelques lignes qui la ramènent à l'affreuse réalité : qui est-elle ?
Juliette prends l'ascenseur, elle entre dans la chambre de Rosette . Son corps va bientôt être emmené. Elle la regarde. Elle porte sa plus belle robe. Elle voudrait lui dire tant de choses, lui demander pardon. Mais à quoi bon. Elle a le tourni. Sa main se pose sur son bracelet d'identification, elle éclate de rire, elle éclate en sanglots devant l'absurdité de la situation, l'absurdité de cette vie.
Merci Rosette.

samedi 21 décembre 2013

Le régime diabétique en EHPAD



Traiter ou bien traiter ?


Je me pose souvent la question sur l'intérêt de soumettre les personnes âgées diabétiques au régime pauvre en glucides. D’autant plus quand ces personnes souffrent déjà de multiples pathologies entravant tant leur autonomie et qualité de vie, qu’elles se retrouvent à n’avoir d’autre choix que de terminer leurs jours en maison de retraite médicalisée (EHPAD).

Imaginez-vous  - même si personne n’a envie d’imaginez cela -  vieillissant, à moitié sourd et aveugle, enfermé dans un corps  raide et douloureux, des fonctions cognitives ne vous permettant plus de grandes distractions. Imaginez-vous avoir besoin d’aide pour vous laver, vous changer, manger… Je vous entends déjà vous écrier : « j’espère mourir avant d’en arriver là ! »

Aujourd’hui, vous n’avez pas encore ce choix sur votre propre vie.  Vous ferez peut-être partie des « chanceux » nonagénaires, voire centenaires, maintenus en état de vie (cœur qui bat, cerveau plus ou moins irrigué) grâce à de savants cocktails palliant vos insuffisances veineuses, cardiaque, respiratoire et rénale, votre anémie, votre hypertension… Cocktail explosif professionnellement pilé et mélangé dans votre yaourt … sans sucre le yaourt, il ne faudrait pas aggraver le diabète ! 
Votre vie sera rythmée par l’instillation de collyres préservant le dixième de vue qu’il vous restera et la pose d’un patch qui vous permettra dans l’obscurité de ne pas oublier trop vite si nous sommes le matin ou la nuit. D’avoir encore un soupçon de lucidité sur votre condition.

Je noircis un peu le tableau, certains n’accumulent pas toutes ces complications liées à l’âge, mais d’autres si.

Chez les personnes très âgées, le goût et donc l’appétit diminuent aussi petit à petit. La seule saveur qui reste bien présente c’est le sucré. Le seul plaisir qui leur reste parfois c’est une bonne part de gâteau.

Alors quand Arlette, diabétique, Alzheimer et insuffisante cardiaque, coincée en unité protégée, hurlant du matin au soir « laissez-moi mourir ! » dans l’indifférence totale tant le tableau est devenu tristement banale, pleure pour avoir comme tous ses compagnons de fortune,  un morceau de fondant au chocolat au dessert que la sacro-sainte prescription médicale ne lui autorise pas, c’est sans scrupule que je commets une grave faute professionnelle : je lui en tends une belle part. 

mercredi 18 décembre 2013

Nous avons tous un don ...



Je voudrais vous parler de quelque chose qui me tient à coeur : le don d'organe entre vivants.
Nous avons tous largement été informés sur le don d'organes et notre carte de donneur est, bien entendu, soigneusement rangée dans notre portefeuille.
Mais que savez-vous du don d'organes entre vivants ?
L'Agence de la biomédecine a lancé en Octobre 2013 une campagne d'information sur le don et la greffe rénale à partir d'un donneur vivant : Un don en moi.
Cette campagne à destination des professionnels de santé, des patients, de leur entourage mais aussi du grand public, a pour objectif d'informer largement sur l'existence de cette possibilité thérapeutique et ses excellents résultats.
Malheureusement, aujourd'hui encore la greffe de rein à partir de donneur vivant reste insuffisamment pratiquée.
Peur ? Manque d'information ?
Des diagnostics dont résultent des chiffres qui laissent songeur. En effet, en 2012, parmi les 13 329 personnes qui étaient en attente d'une greffe rénale, seuls 3044 ont été greffés dont 357 à partir de donneur vivant.
357 d'entre eux ont eu la chance de recourir à ce procédé qui amenuise grandement le risque de complications comme le rejet de greffon, complication la plus grave. C'est peu. Trop Peu... Les plus de 10 000 autres personnes ont attendu, l'espoir d'une vie meilleure, pour certains d'entre-eux d'une vie tout court. Espoir s'effaçant peu à peu alors que le rythme des dialyses s'accélèrent. Certains attendront en vain...
Pourtant parfois, et c'est ce qui est le plus rageant, la solution était toute proche : un père, une soeur, un époux... 
J'ai un ami qui a bénéficié d'un don de rein entre vivants. Il avait une malformation génétique. Il s'est battu jusqu'à ses 30 ans, de décompensations en hospitalisations. Il était sur liste d'attente. Une liste d'attente insupportablement longue quand on est dans l'urgence. Un jour, c'était en Novembre 2011, il m'a dit qu'on ne lui donnait plus que quelques mois à vivre. Son père, qui était compatible, lui a fait le plus beau des cadeaux : il lui a redonné la vie. Pourquoi ne l'a t-il pas fait plus tôt ? tout simplement parce qu'il ne savait pas cette solution envisageable. 
Le grand public mais aussi les malades connaissent encore trop peu cette possibilité thérapeutique. Or, le don de rein du vivant est une démarche qui nécessite une réflexion de la part du patient et de son entourage. Il est donc important d'être informé assez tôt de cette possibilité, bien avant le stade terminal de l'insuffisance rénale. Cette information donnée précocement, permet, au donneur comme au receveur de mûrir progressivement leur décision. C'est dans ce but, que l'Agence de la biomédecine a lancé cette campagne, un don en Moi. Je diffuse l'information, n'hésitez pas à en faire autant. Chaque professionnel de santé a un rôle à jouer.
L'Agence de la biomédecine, agence d'Etat placée sous tutelle du ministère de la Santé et créée par la loi de bioéthique de 2004, exerce ses missions dans les domaines du prélèvement et de la greffe d'organes, de tissus et de cellules, ainsi que de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine. Elle gère notamment la liste nationale des malades en attente de greffe, coordonne le prélèvement d'organes, la répartition et l'attribution des greffons en France tout veillant au respect des critères médicaux et des principes de justice.

Voici une vidéo sur le sujet :
Vous, connaissiez-vous l'existence du don d'organe entre vivants ? Aviez-vous déjà entendu parler de l'agence Biomédecine ?
Tous vos témoignages sont les bienvenus
Pour en savoir plus, vous pouvez vous-rendre sur les liens ci-dessous :
- les informations principales sur le don de rein de son vivant : 
° http://WWW.dondorganes.fr/018-pour-quels-malades-et-quels-benefices
° http://www.dondorganes.fr/019-qui-peut-donner-de-son-vivant
° http://www.dondorganes.fr/020-quelles-consequences-pour-le-donneur
- Des vidéos de témoignages :
° http://www.dondorganes.fr/165-mari-et-femme
- Des questions/réponses
° http://www.dondorganes.fr/186-questions-et-reponses-a-ecouter
° http://www.dondorganes.fr/197-questions-et-reponse-a-regarder

jeudi 5 décembre 2013

Psychosexologie et géométrie variable

Qui a la plus grosse ?




J'aime les reportages animaliers. J'ai appris à les aimer comme tout infirmier travaillant en horaires décalés.

Il y a quelque chose de passionnant à constater que, quelque soit l'espèce animale, à de rares exceptions près, tout est toujours question de territoire et de sexe.

Les mâles se battent pour monter les femelles, tout le monde défend farouchement sa part de territoire. Certains défendent leur territoire, et donc leur pouvoir, en utilisant le sexe. Les fins connaisseurs d'hippopotames comprendront.

L'homme ne déroge pas à cette règle.

Enfant il joue à qui pisse le plus loin.

Pré-ado il s'exerce en géométrie en mesurant circonférence et longueur de son engin (nous les femmes n'avons pas du attendre le rapport PISA pour savoir que les français étaient nuls en maths).

Ado, il se vante du nombre de ses conquêtes, pendant qu'elle apprivoise la division ( re cf rapport PISA ).

Adulte, notre espèce commence à se plier à certains codes de la société, le surmoi prends le dessus.
Frustré de ne pouvoir vanter la démesure et omnipotence de son troisième membre, l'homme  va alors se réfugier dans les symboles phalliques : couteaux, cigares, cravates. La mode des cravates courtes n'a, sans surprise, jamais fait long feu.

Chez les personnes âgées, cette obsession reste présente.
Nous pouvons assister régulièrement à des "batailles" de canes aussi captivantes que les duels d'épée d'antan.

Un jour alors que l'un de mes patients en menaçait un autre qui se trouvait sur son passage en brandissant sa cane, c'est tout naturellement que ce dernier a répondu :
"Vous ne me faites pas peur avec votre cane. Je vais vous montrer la mienne, elle est encore plus grosse que la votre !

Moralité : celui qui a dit que l'homme se regardait le nombril n'avait pas le compas dans l'oeil. Peut-être n'avait-il pas étudié la géométrie avec le bon matériel ?

jeudi 14 novembre 2013

À la recherche du gant perdu





Je ne vous apprends rien, c'est la crise !

Plus d'embauche dans le secteur de la santé, un nombre d'infirmiers au chômage bien gardé secret des plus hautes sphères tant le manque de personnel sur le terrain est criant. Imaginez-vous le scandale si l'abominable vérité éclatait au grands jour ?

Une logique financière froide, dangereuse et implacable qui pousse nos grands pontes à couper dans la masse salariale. Des cliniques et maisons de retraite tenues par les mains "propres" des actionnaires pour qui un patient, un résident, un Etre Humain avant tout, ne l'oublions pas, représente une courbe sur un graphique.

Une logique financière qui préfère investir 340 000 Euros dans trois œuvres d'Art plutôt que dans le personnel. C'est pour le confort des patients vous argumenteront-ils.

Mensonge !

C'est pour vous, vous qui êtes extérieurs au monde du soin, vous faire croire que tout va bien. Une décoration chic et soignée. La vitrine est belle, elle inspire confiance. Entrez, entrez donc chers clients, ici nous sommes au top comme notre façade vous l'insinue. Soyez rassurées chères familles nous chouchoutons vos proches.

La vérité je vous la dis et non sans risque, car là où certains y verront de la résistance, d'autre y verront de la trahison, de la calomnie. La vérité est que si on avait réellement pensé au confort des patients, on aurait par exemple investi ce budget dans l'embauche d'un art-thérapeute.

Ceci aurait permis entre autre de :
- permettre aux patients de décharger leurs angoisses à travers l'Art. C'est la sublimation.
- combattre l'ennui des patients, le temps à l'hôpital pour eux défile très lentement.
- leur redonner confiance en eux, augmenter leur estime d'eux-même à une période de leur vie où ils sont le plus vulnérable.
- Décorer ces fameux murs blancs avec des œuvres qui parlent à ceux qui les arpentent.

Mais je n'y connais rien, je n'ai pas à m'occuper de ça, ce sont des histoires de grands et ce n'est certainement pas la même enveloppe... À bon entendeur.

En attendant je me mêle de mes fesses gants. Mes gants qui me permettent de me protéger et de protéger mes patients quand je fais des soins. Mes gants dont le prix est certainement plus élevé que ces œuvres tant il devient difficile de mettre la main sur eux. Le comble pour un gant ! À l'heure où je n'ai que quatre minutes par jour, transmissions comprises, à consacrer à chaque personne dont on me demande de prendre soin, je perds de longues secondes et me retrouve obligée de couper dans mon temps de soins à la recherche du gant perdu ...

vendredi 25 octobre 2013

Il faut se rendre à l'évidence...Le metier d'infirmier n'existe plus





Il faut se rendre à l'évidence : notre métier n'existe plus.

Lors de ma courte carrière (qui n'est pas encore terminée) j'ai eu la chance de travailler dans de nombreux endroits, je n'y ai trouvé que de l'herbe jaune.
Une étudiante m'a écrit en commentaire : j'ai peur d'être trop soignante pour survivre aux soignants. De son regard encore frais d'étudiante les soignants sont inhumains.

Ça m'a touché. On s'est tous juré quand on était étudiant de ne pas devenir comme "ça". Ce dont on ne pouvait pas se douter alors, c'était que la plus grande difficulté en tant qu'infirmière ne serait pas de survivre aux autres soignants mais de survivre à nous même. Garder les valeurs, la flamme qui nous ont poussées à choisir cette profession. Ne pas réécrire une pathétique copie contemporaine d'un mélange entre La bête humaine et L'assommoir.

Aujourd'hui notre métier n'existe plus. Nous sommes des ouvriers. Des ouvriers très bon marché les Dimanche et jours fériés. Des ouvriers pour qui les conditions de travail sont telles, que dans certains services, les accidents du travail sont plus élevés que dans le BTP.

On nous parle de care, de cure, d'humanitude et de bientraitance. Que de propos ronflants que seuls ceux qui n'auront jamais les sabots trempés d'urines, la blouse tachée de sang et à 30 ans le dos d'un vieillard de 90 ans peuvent encore oser prononcer.
Que de concepts pompeux sur lesquels, devenue abattue et abêtie par ce système de soins de plus en plus monstrueux, je n'ai plus la force de philosopher et dans un râle désespéré je ne trouve qu'à répondre : fuck off ! Permettez-moi l'expression.

Un vieil homme très célèbre décédé maintenant nous a laissé un message : indignez-vous !

L'indignation à ce jour est la seule arme qu'il me reste et qui me prouve que, à défaut d'humanitude bien trop chronophage, il subsiste chez moi une once d'humanité.

dimanche 17 février 2013

Ma lettre de motivation aux offres d'emplois indécentes





Marie-Bénédicte Bellange
12 impasse des pigeons
81220 Sainte Anne sur Tarn

Madame, Monsieur,

Actuellement à la recherche d'un poste infirmier votre annonce a particulièrement retenu mon attention.

En effet, je retrouve dans les valeurs de votre structure ce qui m'a poussé à exercer cette profession, pour ne pas dire cette passion : la vocation, le don de soi, le sacerdoce.

Ces qualités traditionnelles indispensables à toute infirmière se perdent, hélas, de nos jours. À une époque où les gens deviennent de plus en plus exigeants quant aux conditions de travail, je n'ai pu qu'en constater les dommages collatéraux : une désacralisation de notre beau métier, la perte de la notion de sacrifice du soignant pour le patient.

Soyez sûrs, Madame, Monsieur, que je ne fais point partie de ces personnes, Dieu m'en préserve. Mon dévouement à ma profession n'a d'égal que mon abnégation face à la hiérarchie.

Je ne suis pas devenue infirmière, je suis née infirmière. J'ai eu la révélation de cet état de fait lors d'un pèlerinage à Lourdes en Août 2001. J'ai depuis lors la mission personnelle de faire renaître et rayonner les vraies valeurs de notre profession auprès des patients comme auprès des soignants. C'est pour ces raisons que je pense avoir le profil correspondant à ce que vous recherchez.

Je saurai également me rendre hautement disponible, mon lieu d'habitation se trouvant à deux pas de votre EHPAD et n'ayant que peu voire proue d'obligations personnelles.
Il va sans dire que je ne sous-entends pas par là m'enrichir par des heures supplémentaires, c'est de bon cœur que je viendrai en aide à mon équipe, son sourire et sa gratitude valant tout l'or du Monde.

Dans l'attente d'une réponse de votre part, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.

Marie-Bénédicte Bellange.


Un concours, trois ans et plus d'études, un mémoire, des rythmes variables et décalés, travailler de nuit, les week-end, les fériés, des risques pour la santé élevés, une forte exposition aux agressions, fréquenter quotidiennement la douleur et la mort, une responsabilité pénale et civile engagée à chaque acte, pas le temps de manger, pas le temps de boire, pas le temps de pisser... Et tout ça pour le SMIC ? De qui se moque t-on ?
On a vraiment touché le fond.

Je vous invite à entrer en résistance, car il ne faut pas tout accepter, car accepter de tels salaires c'est dénigrer quelque part notre profession. Boycottez ce type d'annonce, ou mieux, envoyez leur de belles lettres de (dé)motivation afin d'affirmer haut et fort que le temps des nonnes à cornettes est bel et bien révolu.