vendredi 25 janvier 2013

Quantifier le temps des soins : de la théorie à la réalité




Une des nombreuses causes du malaise soignant provient sans doute de cette tripotée d'administratifs, n'ayant aucune conscience des réalités du terrain et sur qui repose l'organisation de l'hôpital. Ces administratifs, le nez fourré dans des farandoles de chiffres vont déterminer entre autre le budget alloué aux embauches de personnel en tentant de quantifier le temps par acte de soins. C'est ainsi que l'on se retrouve dans des services surchargés en patients et sous-dotés en personnel.

Un petit aperçu ici de notre travail vu par les administratifs comparé à la réalité de la profession infirmière:

- La glycémie capillaire d'après un administratif :

L'infirmière prend son glucomètre, pique le doit du patient, analyse la goutte de sang.
Temps de l'acte : 2 minutes. C'est la théorie, froide et simple, dépourvue d'un facteur essentiel : l'humain.

- La glycémie capillaire dans la vraie vie :

Acte 1 : 15 minutes
Vous cherchez le glucomètre qui a encore disparu. Après avoir retourné tous les tiroirs du service en pestant, vous vous résignez à aller en mendier un chez Martine, l'infirmière de l'étage du dessus. Les négociations sont houleuses, plus difficiles que la demande d'un prêt immobilier sans apport et sans garants. Le glucomètre enfin obtenu, vous préparez votre petit plateau et vous rendez dans la chambre de Gertrude, 87 ans.

Acte 2 : 15 minutes
Gertrude est ravie. Elle s'apprêtait justement à "sonner" l'infirmière pour aller aux toilettes. Vous voilà donc à accompagner Gertrude et son attirail de perfusions. Par accompagner, entendez, soutenir tant bien que mal, un pas après l'autre, Gertrude, 103 kg, et tous ses dispositifs médicaux jusqu'à la salle de bain.

Acte 3 : 15 minutes : Gertrude a fini son affaire aux toilettes, vous l'avez installée au fauteuil. À la télé, Julien Lepers pose des questions. La pauvre Gertrude qui commence à trouver le temps long à l'hôpital, prise de mimétisme, vous en pose aussi. De plus en plus et de plus en plus personnelles. Professionnelle, vous vous lancez à pieds joints dans une relation d'aide et essayez d'orienter la conversation sur elle.

Acte 4 : 15 minutes
Vous vous mettez enfin à faire la glycémie de Gertrude qui a le réflexe de se frotter le bout du doigt aussitôt que vous l'avez piqué. Vous appuyez dessus pour ne pas avoir à repiquer la pauvre dame et tant bien que mal faites sortir une petite goutte de sang.
"0'90" vous vous exclamez, "c'est parfait".
Mais la Gertrude ne le voit pas de cet œil là, d'habitude elle est à 1,30. Elle craint l'hypoglycémie et insiste fortement pour que vous lui ameniez du sucre. Vous voilà bonne pour un semblant d'éducation thérapeutique pour dissuader votre patiente de s'empiffrer l'équivalent d'un magasin de bonbons.

Acte 5 : 15 minutes
Vous vous apprêtez à enfin sortir de la chambre et finir dare dare votre tour de 19h. Il est déjà 20h et vous n'avez vu que Gertrude. Vous vous apercevez alors que la perfusion ne passe plus. Après avoir essayé toutes les techniques non recommandées vous vous rendez à l'évidence : il va falloir reperfuser Gertrude. Et oui, il y a autant de veines sur les bras de Gertrude que d'aristocrates au Front de Gauche.

Acte 6 : 15 minutes
Vous sortez de la chambre, cette fois pour de bon. Vous croisez votre cadre qui vous attend de pied ferme un dossier à la main : "pourquoi vous n'avez pas fait l'inventaire des affaires du patient entré tout à l'heure ? L'image d'Omer Simpson étranglant son fils Bart vous traverse l'esprit. Au creux de votre estomac vous sentez votre ulcère s'agrandir.
Vous tournez la tête, cherchez une issue pour vous échapper et vous trouvez nez à nez avec Martine :"1h pour faire un dextro ! Ces jeunes ne savent vraiment plus travailler ! cantonne t-elle devant votre cadre.

Et c'est toujours comme ça. Et j'exagère à peine. Alors quand nos dirigeants s'aperçoivent qu'il y a des problèmes d'organisation manifestes dans les services, que font-ils ?

Cherchez bien....

Ils rognent encore sur le budget du personnel soignant pour embaucher encore plus d'administratifs !

À toutes les Gertrude qui méritent d'être soignées avec humanité/i>