jeudi 31 janvier 2013

Bienvenue à l'usine de soins


Ne bougez pas, un robot va s'occuper de vous


Dans cette vidéo, une intervention on ne peut plus intéressante de Marisol Touraine (MST)


Je ne peux que rebondir sur les propos tenus par ma biquette émissaire du moment .

Passons déjà sur le point où elle insinue que les soignants ne sont pas organisés, ce flagrant délit de mauvaise foie pour expliquer les problèmes actuels de l'hôpital ne vaut vraiment pas la peine qu'on s'abaisse à le commenter.

Non, le point qui m'a fait trépigner de colère comme une gamine à qui on refuse un jouet, c'est cette petite phrase, glissée l'air de rien : on peut affecter quelqu'un pour faire les sorties de patients et décharger les infirmières de ça.

Je respire un grand coup...

Et puis non : mais qu'est ce que c'est que cette idée de chiotte nom d'une pipe en bois d'olivier ?!!!

Encore une fois notre Ministre nous prouve qu'elle ne comprend pas le dixième de notre profession, qu'elle nous voit comme de simples exécutants.

Qui pour lui expliquer que quand un patient rentre à domicile, il ne suffit pas de lui tamponner un bout de papier et enroulé c'est pesé (et encaissé surtout) ?

Qui pour lui expliquer que ce retour peut être source d'angoisse pour certain ? Que notre rôle est de comprendre pourquoi et d'apaiser ces angoisses.

Qui pour lui expliquer qu'il faut "éduquer" le patient avant qu'il ne se retrouve livré à lui même avec une liste de traitements qui peuvent générer des effets secondaires plus ou moins gênants ?

Qui pour lui expliquer qu'il faut apprendre au patient à reconnaître certains signes d'alertes de l'apparition d'une phlébite ou d'une embolie pulmonaire ?

Qui pour lui expliquer qu'il faut un minimum connaître son patient, son mode de vie, son hospitalisation, pour faire tout ça correctement ?

Qui ?

Et surtout, vers quel type d'organisation allons nous ?

Aujourd'hui on parle de quelqu'un dédié aux sorties. Demain on ajoutera quelqu'un dédié aux entrées , puis une autre personne aux traitements, une aux tensions, une aux prises de sang. Quand on ne sera pas sage on nous enverra aux coprocultures ou recueils d'urines.
Il va sans dire qu'on aura tout bonnement oublié de désigner quelqu'un à la relation d'aide ou à l'éducation thérapeutique. D'ailleurs qu'est-ce donc ça ?

Ce mode d'organisation ne porte qu'un nom : le travail à la chaîne.

Je m'imagine dans l'usine de soins du futur. On arrive au travail, on prend les 400 tensions à prendre du bâtiment et on repart. Parfois on se télescope avec l'infirmière qui fait les glycémies capillaires. D'autres fois il y a embouteillage dans la même chambre (c'est qu'on est toujours mal organisé), alors ça fou tout le timing en l'air, on fait baisser le rendement. Les infirmières qui posent les perfusions narguent les nulles qui ne prennent que les températures.

Les soignants avancent dans les longs couloirs et exécutent leurs tâches mécaniquement.
Parfois ils exécutent un patient. Vite ajoutez son numéro sur le planning du préposé aux mort !

Perso, ce jour, je postulerai dans une vraie usine...au moins les Dimanche y sont payés double.

Les Mondes parallèles



Nous, personnel soignant, avons une chance extraordinaire. Nous sommes une ressource cachée que personne ne pense à exploiter. Nous somme un indicateur d’humeur imparable, un observatoire sociologique hors paire (ouille mes chevilles !)
Nous avons ce pouvoir rare de voyager quotidiennement à travers des mondes parallèles.
A l’hôpital nous rencontrons des gens que nous n’aurions peut être jamais eu l’occasion de croiser à l’extérieur. A l’hôpital se regroupent des gens qui ne se croiseront jamais à l’extérieur.

L'hôpital, le microcosme accéssible d'une société trop vaste pour en inspecter tous les recoins.

Nous sommes constamment projetés d’un univers à un autre, d’une culture à l’autre, d’une personnalité à l’autre, et ce pour mon plus grand plaisir.
Du riche héritier au déshérité, de l’homme politique au SDF, du catholique à l’anarchiste, du voyou à la victime, du royaliste au communiste… Mon aiguille comme une perpendiculaire trace l’espace d’un instant un chemin entre ces mondes et le mien.
A travers mon kaléidoscope j’observe le monde qui m’entoure, le contraste de ses lignes et couleurs, la rugosité ou la douceur de ses matières. J’admire le tableau, c’est de l’art moderne. J’y repère les lignes discrètes qui relient entre eux les centaines d’éléments.
Caméléon le jour, je m’adapte au nouveau paysage que je découvre derrière chaque porte de chambre.
Le soir je me transforme en alchimiste. A l’heure des songes, les petits miroirs du kaléidoscope  se mélangent entre eux, formant un énorme bouillon de culture aux parfums de société.
Je sens les tendances, par déduction l’avenir devient une évidence : parfum de tristesse, parfum d’espoir…parfum de colère en ce moment. La révolte ne saurait tarder…