jeudi 29 novembre 2012

À l'hopital les économies finissent en bain de sang

Ou comment les economies à l'hopital peuvent mettre les patients en danger.



Les dangers des restrictions budgétaires à l'hopital

Service de chirurgie d'un CHU. La nuit. Seize patients, la moitié en isolement pour bactéries multirésistantes (infection nosocomiale? Le mot est tabou.)

Une infirmière, une étudiante. D'habitude il y a une aide-soignante, mais "ils" l'ont placée dans un autre service, la stagiaire pouvant faire son boulot.
 L'encadrement ? La responsabilité ? Ça demande du temps et du personnel alors autant s'asseoir sur ce coussin rempli de billets grâce à toutes ces petites économies. Il fait mal aux fesses le coussin, mais on met parfois un peu de temps pour s'en apercevoir.

Ce soir là, j'ai entre autre une perfusion d'antibio à poser. Soin banal, ordinaire. De ces soins les plus dangereux finalement tant on le fait par automatisme.

 Je vais voir mon patient, allume la veilleuse et pose la perfusion en Y sur le robinet. On papote un peu, de tout de rien, la nuit, loin des tumultes de la journées, les angoisses reprennent le dessus et les langues se démêlent. Je m'apprête à quitter la chambre du patient quand soudain ce dernier m'interpelle : " qu'est ce qu'il se passe ? C'est normal ça ?" Il me montre son bras, du sang remonte dans la tubulure jusqu'au robinet.

J'accoure, je clampe tout, essaye de comprendre d'où vient le problème: le patient n'a pas malencontreusement été perfusé en artériel (si, si ça arrive!), la tubulure est bien vissée au bout du robinet. Tout à l'air d'être en place. J'allume la grande lumière pour y voir plus clair, et là je vois l'étendu des dégâts : de grosses tâches de sang sur le lit, une marre de sang sur le sol. Je ne sais pas qui de moi ou du patient est le plus blême. Je le déperfuse, prend ses constantes, le surveille: le patient se porte bien.

Dans le poste de soins, j'examine "à la loupe" le dispositif de perfusion : là au niveau du robinet, sur la partie en plastique dur, une minuscule fissure et un trou. Le robinet était cassé, créant un appel d'air qui aspirait le sang du patient. Je suis survoltée, nous avions déjà signalé que ces nouvelles tubulures, achetées quelques centimes moins chères que les précédentes, étaient de mauvaise qualité, le débit soit trop lent, soit trop rapide étant impossible à régler correctement. Je fais part de l'incident à la cadre qui ne veut rien savoir, c'est moi qui ne sait pas me servir d'un robinet et qui l'ai cassé. C'est vrai que j'ai l'air d'une grosse brute avec mes 50 kg toute mouillée et j'ai certainement la force de Hulk puisqu'on attend de moi que je mobilise toute seule des patients de 150 kg. Quand bien même avais-je cassé le robinet, est ce normal qu'un dispositif médical puisse se détériorer si facilement sans que l'on s'en apperçoive ? On s'en fou c'est le moins chère!

Et si je n'étais pas restée avec le patient ce soir là ? S'il s'était endormi sans se rendre compte de rien ? S'il avait fait un malaise avant de pouvoir m'appeler ? Je l'aurai retrouvé quelques heures plus tard, mort, gisant dans son sang. Tout ça pour un micro-trou dans un robinet de tubulure. Tout ça pour quelques économies aux dépens de notre santé et de notre sécurité.

Vous aimerez peut-être : des tartes pour les infirmiers

mardi 27 novembre 2012

Trois petites minutes

Poème d'une infirmiere à Marisol Touraine



la Ministre de la santé n'accorde pas de temps aux infirmiers

C'est le temps qu'on met à se brosser les dents.
C'est le temps d'intervalle entre deux métro.
C'est le temps de cuisson des nouilles chinoises.
C'est le temps qu'il ne faut surtout pas dépasser dans la prise en charge d'un arrêt cardiaque.
C'est le temps que nous a accordé Marisol cet après-midi pour répondre ( et de plus très mal) à notre détresse.
Marisol, si un jour tu te retrouves au bout de mon aiguille, je n'aurai probablement pas plus de trois minutes pour te soigner.

Pour en savoir plus sur Marisol Touraine et sa vision de la profession infirmière
- Posted using BlogPress from my iPhone

lundi 26 novembre 2012

Les infirmiers ont-ils du cœur ?

Ou comment les infirmiers parviennent-ils à supporter la souffrance de l'autre ?


Le coeur des infirmiers


À chaque concours d'entrée en IFSI, les étudiants expliquent invariablement quand on leur demande leurs motivations qu'ils veulent être infirmier pour le côté humain du métier, parce qu'ils aiment aider les gens.

Souvent quand les gens apprennent notre métier ils nous disent des choses comme "vous avez du courage", "heureusement qu'il y a des gens comme vous" et le classique "vous faites un beau métier...moi je ne pourrais pas".
Toutes ces louanges en deviennent tantôt gênantes, parfois exaspérantes, même si au fond un petit compliment ça fait toujours plaisir.

Un jour une patiente m'a dit quelque chose d'assez inhabituel : " je ne comprends pas comment vous pouvez vouloir être infirmière, il faut vraiment ne pas avoir de cœur pour supporter toute cette douleur et cette souffrance".

Cette phrase m'a fait l'effet d'un électrochoc.
J'y repense souvent. Quelle genre de personne suis-je pour effectivement supporter tout ça?

Dans ce lien, un regard sur le personnel soignant à la place du patient

- Posted using BlogPress from my iPhone


dimanche 25 novembre 2012

C'est bien connu les infirmieres sont toutes des cochonnes


Le fantasme de l'infirmiere a la vie dure


Scène de violence ordinaire sur fond de misère sociale à l'hôpital.

Service de médecine, de plus en plus service d'hébergement .
On reçoit un patient sdf comme tant d'autre. Il vient d'Europe de l'Est, a espéré que l'herbe serait plus verte à l'Ouest. Il ne parle pas français mais a tellement vagabondé pour fuire la misère qu'il arrive à se débrouiller en allemand et italien. On va se débrouiller.

Il est plutôt jeune, a été admis pour une plaie au visage qui s'infectait méchamment. Après trois mois de travail au noir, plus de 14 h par jour sur des chantiers, son boss lui a dit qu'il ne pouvait pas le payer. Parfait exemple d'esclavage moderne au pays des droits de l'Homme. Ça s'est finit en bagarre, il a terminé à l'hôpital.

Ça c'était pour poser le tableau.
 Mais que viennent faire les infirmières cochonnes là dedans me direz-vous? Ne soyez pas si impatients, j'y arrive.

Donc ce patient, on lui fait tout un tas de bilans sanguins dont une sérologie VIH-HVC. Le problème c'est qu'il faut obtenir un consentement éclairé du patient pour ce genre de tests et qu'avec la barrière de la langue, c'est pas évident de lui expliquer au monsieur. Je parviens à mes fins après moult dessins et explications avec mes restes d'allemand et de yaourt italien. Il à l'air d'avoir compris et accepte le test. Il est particulièrement agréable avec moi, naïvement je pense qu'il a apprécié que je prenne le temps de lui donner des explications.

 Ce n'est que le lendemain, quand sa petite amie a débarqué complètement hystérique dans le service, me jetant une bouteille de bière au visage que mon cerveau a commencé à faire tilt. Très vite la cadre intervient et tente de calmer la dame, lui demande ce qu'il la met en colère : " c'est l'infirmière, elle baise avec mon mari! " j'en reste les bras ballants, la cadre lui demande ce qui lui fait dire ça : " elle a fait le test du sida à mon copain pour savoir si elle pouvait le faire sans risques! " Autant dire que je ne me suis plus occupé de ce patient.

Ps: pour ceux qui auraient tapé infirmières cochonnes sur Google, désolée, vous devez être déçus !
- Posted using BlogPress from my iPhone

Vous aimerez peut-être ce lien : discrimination sexuelle à l'hôpital

Je n'ai pas le temps pour que vous mourriez aujourd'hui

Ou comment prendre correctement soin d'un patient en fin de vie quand on est débordé de travail ?

Je suis exploitable, heu, infirmière à domicile.
J'ai un patient qui est condamné, une douloureuse maladie iatrogène.
Tous les jours je me demande dans quel état je vais le retrouver. Son état se dégrade lentement, je l'ai connu en forme sur ses deux jambes pour finir grabataire. Ce matin là, comme tous les matins, c'est sa compagne qui m'ouvre la porte. Mais ce matin elle tremble, elle pleure : " c'est la fin " me dit-elle.
Elle a des cernes jusqu'au menton, elle l'a veillé toute la nuit dans l'angoisse de l'attente du dernier souffle. Elle a appelé le médecin de garde qui lui a prescrit un bilan sanguin, un ECBU avec antibiogramme à faire le Lundi. Nous sommes Samedi. En raison de sa maladie, le monsieur ne peut prendre aucun médicament.

Je vais voir le patient, il est dans le coma, une tension à 6 et un pouls à 40 qui n'essaye même plus de compenser l'hypotension. Le beau-fils arrive, rassure sa mère sur le fait que son compagnon va survivre. Elle me regarde de ses grands yeux tristes, attend une réponse de ma part. Une réponse que mon statut m'interdit de donner. Seul un médecin peut se prononcer sur le pronostic vital d'un patient.

Ne sachant plus que faire pour son compagnon, elle me demande si on peut le réveiller pour le mettre au fauteuil. Elle pense que ça lui fera du bien. Comment lui dire l'indicible ? Je lui dis qu'au moins quand il dort il ne ressent pas la douleur de sa maladie, alors mieux vaut le laisser au lit. Je me sens plus que nulle. Je voudrais rester avec cette dame et son fils, les accompagner jusqu'à la fin.

Je sors pour téléphoner au chef et lui faire part de la situation, il me reste une dizaine de patients à voir, ne peut-on pas trouver une solution pour que je reste avec cette petite famille ? Réponse négative, personne pour me remplacer. Tout ce qu'il peut faire c'est prendre rendez-vous avec l'équipe de soins palliatifs. Une équipe inconnue, sur les épaules de laquelle la compagne n'osera certainement pas pleurer. Une équipe débordée qui arrivera sans doute trop tard.

Je retourne chez mon patient. Je reste un maximum de temps, quand je sors il respire toujours mais je sais que c'est la dernière fois que je le vois.
Il est mort le lendemain matin et laissera à vie dans un coin de ma tête un sentiment d'impuissance, de colère de ne même pas avoir le temps d'être là dans les moments les plus difficiles, la certitude d'être par la force des choses une mauvaise infirmière.

Découvrez ici un autre témoignage sur la prise en charge d'une patiente en fin de vie

Les infirmiers au chômage


Qui a dit que les infirmieres ne connaissaient pas la crise ?

Pôle emploi : le nouveau quartier général des infirmières


Une rumeur qui enfle


Il circule des bruits bien étranges : de plus en plus d'infirmiers seraient au chômage. Dans ma région ce n'est pas le cas, normal personne ne veut y habiter et le salaire d'un infirmier ne permet même pas de se louer un studio de 12 m² . Mais voilà, de région j'avais justement prévu d'en changer, pour aller vivre dans une ville à taille humaine, ne plus dormir dans le salon, pouvoir me payer le chauffage quand il fait froid, manger autre chose que des pâtes et ne plus passer 10 h par semaines (quand tout va bien) dans les transports le nez à hauteur d'aisselles et le popotin à hauteur de mains. Bref rien d'extravagant comme projet, juste le minimum syndical que mériterait toute personne qui bosse.


Je me disais qu'avec mon boulot, à part peut être en Bretagne, je n'aurai pas de mal à trouver ailleurs. J'ai commencé par faire des recherches du côté de l'énorme CHRU de la ville que je convoitais : pas de postes. Je regarde les cliniques: pas de postes. Les Epahd ? Oui quelques postes avec les conditions que vous connaissez. Oh une offre pour bosser en entreprise! Oh 15000 euros brut par an! Oh mais ça ferait pas moins de 1000 net par mois ça? Je serai mieux payée chez Mcdo.

Je commence à sérieusement m'inquiéter quand je tombe sur deux articles sur un célèbre site de la communauté infirmière : il y a bien du chômage dans notre métier. Sur le forum du même site, des tas de membres disent ne pas trouver de travail. Sur Facebook un groupe est créé. Je tombe des nues, je ne comprends pas. La population n'est t-elle pas vieillissante ? Ne parle t-on pas partout de conditions désastreuses de travail dans les hôpitaux à cause du manque de personnel? 


À qui la faute ?

Si, et c'est de plus en plus le cas. Mais s'il y a bien une profession qu'on peut maltraiter sans bruit, c'est la notre. Les infirmiers ont accepté pendant des années de faire le travail pour deux voire trois personnes, de remplacer au passage le brancardier, l'ASH et la secrétaire. On les use jusqu'à la moelle, mais victimes de leur conscience professionnelle, ils continuent à courber l'échine parce qu'au bout de cette machine infernale il y a un patient qui souffre. Alors les structures de soins ont pris l'habitude à ce que le travail de trois personnes soit fait par une seule. Dans ce cas pourquoi embaucher ? Le travail risquerait-il d'être mal fait si on n'embauchait pas ? C'est pas grave on fera des économies. Se pourrait t-il que l'insuffisance de personnel soignant augmente le taux d'erreurs médicales conduisant au décès? Pas grave, notre larbin ira en prison et on en embauchera un tout frais corvéable à merci, bien trop content de trouver du travail. On pourra même baisser son salaire au passage. 


Un effet pervers qui profite à nos directions des soins

Effet domino, les infirmiers ne trouvant pas de travail postulent pour des postes d'aides-soignants, ces derniers risquant alors aussi de ne plus trouver de travail.
Encore plus pervers, les directeurs de soins jubilent de cette situation et se font un plaisir d'embaucher un infirmier en tant qu'AS , il coûte moins cher et le malheureux encore et toujours appitoyé sur le sort des patients ne pourra s'empêcher de faire en plus le travail de l'infirmier manquant.

Les hôpitaux ont trouvé la bonne manœuvre : pour le salaire d'un aide-soignant vous avez un aide-soignant et un infirmier ( et une femme de ménage, un brancardier, une secrétaire...)

Comment ont-ils reussi à faire accepter aux infirmiers cette situation ?

Connaissez-vous l'histoire de la marmite qui chauffe?
C'est une grenouille qu'on plonge dans une marmite d'eau froide. On pose la marmite sur un feu très doux. L'eau chauffe de plus en plus mais tellement lentement que cette pauvre grenouille s'y habitue et ne voit pas le danger arriver. Elle meurt ébouillantée.
Nous sommes exactement comme cette grenouille, à accepter de plus en plus de choses. Nous sommes en partie responsable de cette situation car qui ne dit rien consent. Il est grand temps de se réveiller chers collègues, exigeons un nombre de patients maximum par infirmier dans tous les services, refusons de faire le travail des autres, ne faisons plus d'heures supplémentaires ou alors payées en tant que telles et volontairement
. Il faut une action coup de poing, il faut faire le buzz. Pas le droit de grève? N'allez pas au travail avec une pancarte en grève sur le dos, mais allez travailler avec une blouse de patient sur le dos. Car oui ce système est en train de nous tuer à petit feu, de nous rendre malades et par la même occasion nous empêche de soigner ceux qui en ont besoin.
Les infirmiers ont une espérance de vie de sept à huit ans inférieure à la population générale, à ce rythme là notre espérance de vie va encore diminuer.
Élevons nos voix avant qu'il ne soit trop tard!

La région parisienne ne sera jamais touchée par le chômage infirmier, découvrez ici pourquoi