jeudi 14 février 2013

Psychotypologie des recruteurs


Vous êtes passé maitre dans l’art de cerner les infirmières et les patients. Reste une catégorie de personnes, et pas la moindre, à analyser : les recruteurs en soins infirmiers.
Après la lecture de ce billet vous serez en mesure de savoir si vous pouvez signer un contrat d’embauche les yeux fermés où s’il vaut mieux prendre vos jambes à votre cou, quitte à repasser par la case pôle emploi.
Dans un ordre absolument arbitraire, nous avons :
-          Le pressé : la première question qu’il vous a posée au téléphone était la date à laquelle vous pouviez commencer. Lors de l’entretien, vous remarquez qu’il a écrit en gros au bic rouge cette date en haut au centre de votre CV et qu’il l’a surlignée trois fois en vert fluo. Méfiance ! L’infirmière à laquelle vous devez succéder n’en pouvait tellement plus qu’elle a posé sa démission du jour au lendemain, soldant ses congés payés sur son mois de préavis. L’ambiance du service étant tellement exécrable qu’elle n’a eu aucun scrupule à ne pas laisser à sa hiérarchie le temps de se retourner. Ce recruteur a juste besoin de deux mains pour faire tourner le service. Vos compétences, vos motivations, vos désirs d’évolution, c’est loin d’être son problème. Il vous remplacera aussi vite dans 6 mois quand vous vous serez tué à la tache à votre tour.
Mon conseil : fuyez

-          Le marchand : chez lui c’est les soldes toute l’année, le prix affiché n’est jamais le prix vendu. Génial ! Si ce n’est que cette fois la marchandise c’est vous ! Vous postulez pour une offre d’emploi avec un salaire débutant à 2200 brut mais très vite au cours de l’entretien, la rémunération semble suivre le cours de la bourse et 2200 se transforme en 1800… Primes, week-end et jours fériés inclus. Méfiance ! Ce recruteur n’a non seulement aucun scrupule à vous faire perdre votre temps mais en plus il vous prend d’emblée pour une idiote. Il vous fera miroiter tout un tas de trucs que vous n’obtiendrez jamais.
Mon conseil : fuyez

-          Le flatteur : Même dans ses rêves les plus fous il n’osait imaginer recevoir une candidature comme la votre. Votre approche de l’art infirmier et votre philosophie soignante sont très intéressantes et méritent d’être mises en valeur. Il a de grands projets pour vous et votre carrière dont il voudra rediscuter dans quelques mois, après votre période d’essai. Méfiance ! Trop de flatteries n’augurent jamais rien de bon. Ce recruteur vous fera accepter tout et n’importe quoi en vous passant de la pommade, pour une fois que quelqu’un vous adule autant vous ne voudriez pas baisser dans son estime. Mais quoi que vous fassiez, ce recruteur opèrera un virage à 90° dans son comportement envers vous et deviendra exécrable. Vous, ne comprenant plus ce désamour soudain, vous retrouverez à travailler d’arrache pieds avec une estime de vous-même au niveau de la mer.
Mon conseil : fuyez

-          Le commercial : Par la magie de la réorganisation du système de santé, ce diplômé d’une école de commerce à 30 000 euros l’année se retrouve à la tête de la direction des ressources humaines d’un hôpital. Entre vous et lui c’est un dialogue de sourds pour ne pas dire de fous. Vous pensez qualité des soins, il pense rendement. Lors de l’entretien il vous pose des questions très générales sur votre profession : les transmissions, la gestion des conflits d’équipe. Dés que les termes que vous employez sont un peu techniques, il perd le fil et, gonflé d’orgueil par un formatage l’ayant convaincu qu’il faisait partie des élites de la France, insinue que vous vous exprimez mal. Méfiance ! Ce recruteur ne connait absolument pas vos compétences et a en tête l’image de l’infirmière un brin neuneu, dévouée aux patients et espérant pour seule rémunération une place au Paradis. L’organisation de ses services est une véritable catastrophe car il ne touche même pas du bout du doigt la réalité du terrain.
Mon conseil : Fuyez

-          Le menteur : Il sévit dans la fonction publique hospitalière. Le menteur est tout sourire, vous embauche au 4ème échelon en tant que débutante dans le service que vous souhaitez, il vous promet que vous pouvez faire quelques heures supplémentaires pour boucler vos fins de mois. Méfiance ! Ce que ne vous dit pas le menteur, c’est que sitôt titularisée, vous retomberez au premier échelon. Le service que vous convoitez n’a comme par hasard pas de poste disponible pour le moment mais promis, après trois mois en long séjour gériatrique vous y travaillerez. Trois mois…ou cinq ans, tout le monde n’a pas la même notion du temps. Les heures supplémentaires seront placées sur un compte épargne temps que peut-être un jour vous pourrez utiliser si les conditions de service le permettent et si vous n’êtes pas mort avant.
Mon Conseil : fuyez

Après avoir fait face au pressé, au marchand, au flatteur, au commercial et au menteur, vous voilà bien dépourvu dans votre recherche d’emploi, désespérant de travailler pour quelqu’un de respectueux et honnête. Ne vous découragez pas, reste une dernière catégorie de recruteur, ma préférée :

-          Le franc du collier : C’est aussi un passionné, l’ambiance dans son équipe lui tient à cœur et il se pliera en quatre pour faire en sorte que tout se passe au mieux. Le franc du collier aura une technique d’approche quelque peu déconcertante : il mettra en avant toutes les difficultés à travailler pour lui. Avec lui pas de mauvaise surprise et vous pouvez au moins être sûre qu’il connait votre profession, ses contraintes, ses risques et ses subtilités.
Mon conseil : signez
(Pas de chance pour moi ce type de recruteur travaille souvent en cancérologie).

samedi 9 février 2013

Suis-je une machine ?





Il y a 10 ans, quelque part dans l'hémisphère Sud.

4h45, réveil au clairon comme six jours par semaine.
15 minutes pour enfiler ma tenue de travail : pantalon, chaussures fermées et manches longues obligatoires.

Dehors les perroquets commencent à chanter.

L'odeur des œufs, haricots et bacon me titille les narines. Devant la cantine, 200 corps meurtris, courbaturés, parfois blessés attendent avec impatience le premier repas de la journée .

Contrôle d'entrée pour tout le monde, interdiction d'être sale.

Je suis dans un vaste camp de travail, je cueille des pêches toute la journée.

5h30, on rejoint la camionnette correspondant à notre numéro de "gang" comme ils disent. 10 minutes de trajet, 10 minutes de répit. On nous emmène au milieu de nulle part, des centaines de pêchers plantés en ligne.
Chapeau, gants, talc, échelle, sac, c'est parti. Il n'est pas encore 6h00, bientôt la chaleur deviendra écrasante , jusqu'à 40 degrés. Il faut faire vite.

Je suis payée au quintal. Je cueille 2,5 à 3 tonnes les bons jours.

À travers champ je porte mon immense échelle, 20 kilos à bout de bras. Cherche un bout de sol à peu près plat pour être stable. Je cueille les pêches à une allure vertigineuse. On m'appelle la machine. Quand le sac commence à être trop lourd, 30 à 40 kilos, je descends de l'échelle et déverse les pêches dans un bac. Parfois le poids me déstabilise et me fait tomber. Ce n'est pas un travail de fille me répète t-on. Qu'est ce qu'un travail de fille ? Par esprit de contradiction je n'abandonne pas.

11h30, pause déjeuné.
30 minutes de répit à l'ombre d'un arbre. Deux sandwich, un soda. Certains carburent au redbull. Malheureusement j'ai horreur de ça.

L'après-midi ressemble au matin, mais l'énergie n'y est plus. Toujours rester vigilante, une morsure de serpent est vite arrivée dans cette région .

15h45, la camionnette vient nous chercher. On s'y traîne, épuisé. 10 minutes de sieste intense jusqu'au retour au camp. Douche. Re-sieste.

17h00: dîner. Nouveau contrôle d'entrée, tout le monde doit être propre et changé.

18h00, c'est l'heure de décompresser. Guitare, djembé, didjeridoo, vin bon marché en cubis, jeux de carte. Rien de trop intellectuel surtout, il faut savoir s'assommer pour travailler comme des bêtes. De belles rencontres. De bons souvenirs.

22h00 extinction des feux. Verifier l'absence d'araignées potentiellement mortelles dans sa cellule. Dans le camp la coqueluche fait des ravages. Des quintes de toux m'empêchent de fermer l'oeil, je vomis de la poussière de pêche.

Après 3 mois dans mon camp et 20 000 dollars en plus sur mon compte en banque, c'est avec nostalgie et des bras de camionneur que je m'en vais sans savoir ce que me réserve le futur.



Dix ans plus tard.

4h45, le réveil de mon portable me sort du lit. Je saute sous la douche 15 minutes, cherche à tâtons des vêtements dans mon armoire. Je n'allume pas la lumière pour ne pas réveiller tout le monde.

Très vite l'appel du café se fait sentir, je comate dans ma cuisine en lisant sur mon androïd les nouvelles du jours. Je peste, que des conneries.

Dehors, j'entends déjà le chant des camions poubelles.

5h45 je rejoins le premier métro qui me mènera jusqu'à un grand CHU. 30 minutes de stress. Incident technique ? Voyageur malade ? Colis suspect ? Je suis obligée de partir bien en avance pour faire face aux habituelles embûches des transports en commun.

6h20 : vestiaire. J'enfile ma tenue de travail, pantalon, chaussures fermées et manches courtes obligatoires. Je prends celle qui a le moins de tâches de bétadine. Obligation d'être propre. Stylo, ciseau, pince à clamper et c'est parti.
Je travaille à l'hôpital, je suis payée au mois. J'ai entre 20 et 15 patients les bons jours.

6h30, je rejoins mon équipe, courbaturée, meurtrie, souvent blessée.. Comme mes patients.
Transmissions. La journée s'annonce dure, il va falloir faire vite. Bientôt je serai sans cesse interrompue par les visites, les sonnettes et le téléphone. Ça va être chaud.

7h00 je commence ma tournée. Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...Je frappe à la porte, je cahette, je tensionne, je pique, je toilette, je mobilise, je transmets...j'enchaîne les soins à une allure indécente. Je suis une vraie machine. Parfois un patient me déstabilise et me fait perdre du temps. On me dit que je fais un travail de fille. Devrais-je abandonner ?

10h00: "petit-déjeuné" sur le pouce, dans la salle de pause, à la lueur des néons. Un bout de pain sec, parfois il reste du beurre et un café. Certains carburent au Lexomyl. Malheureusement j'ai horreur de ça.

La matinée n'est pas terminée, l'énergie n'y est plus. Il faut rester vigilante à l'erreur si vite arrivée et dont le venin de la culpabilité vous empoisonnera jusqu'à la fin de votre vie.

13h30, la relève commence à arriver.

14h00 : Retour à domicile, épuisée. Je me traîne jusqu'à ma station. 30 minutes de métro, 30 minutes à ressasser. Ai-je oublié quelque chose ? Ai-je bien fait de faire comme ça ?

15h00 : douche et sieste.

16h00: la vie reprend son cours. Ménage, courses, paperasse, repas. Peu de temps pour décompresser. Un peu de télé. Rien de trop intellectuel surtout, pour travailler comme une bête il faut savoir s'assommer.

22h30 extinction des feux. Chez les soignants les lombalgies font des ravages. Les douleurs au dos m'empêchent de m'endormir. Parfois je repense à tous ces visages croisés il y a 10 ans. Que sont-ils devenus eux ? Sont-ils heureux ? Quel chemin ont-ils pris ? Ai-je pris le bon ?

Après 3 mois et -300 euros sur mon compte en banque, je quitte sans nostalgie et avec des bras de camionneur cet hôpital en espérant un futur meilleur.

jeudi 7 février 2013

Douce France

Ce pays où l'euthanasie est interdite


Il existe un pays où l’euthanasie est interdite. Peur des dérives d’une part, influence d’une morale judéo-chrétienne d’autre part.
Il existe un pays où l’on a peur de prendre des décisions qui fâchent. Peur de prendre des responsabilités d’une part, influence d’un système économique contrôlé par une petite poignée bercée par la morale judéo-chrétienne d’autre part.
Il existe un pays laïc.

Il existe un pays où les soins palliatifs sont l’alternative à l’euthanasie.
Il existe un pays où faute de moyens financiers investis, seules quelques personnes ont accès aux soins palliatifs.
Il existe un pays où le traitement de la douleur est une obligation légale.
Il existe un pays plein de paradoxes.

Il existe un pays où les laboratoires de proximités vont fermer.
Il existe un pays où l’on pense retirer le permis de conduire aux personnes âgées.
Il existe un pays où les taxis ne seront plus remboursés comme transports médicalisés.
Il existe un pays où une autre alternative à l’euthanasie est en train d’être trouvée…

Il existe un pays où quelques indignés résistent.
Il existe un pays où  certains sont trop sensibles pour rester passifs face à la souffrance.
Il existe un pays où certains tirent la sonnette d’alarme.

Il existe un pays où certains n’ont pas oublié que la non assistance à personne en danger relève de la responsabilité pénale.

jeudi 31 janvier 2013

Bienvenue à l'usine de soins


Ne bougez pas, un robot va s'occuper de vous


Dans cette vidéo, une intervention on ne peut plus intéressante de Marisol Touraine (MST)


Je ne peux que rebondir sur les propos tenus par ma biquette émissaire du moment .

Passons déjà sur le point où elle insinue que les soignants ne sont pas organisés, ce flagrant délit de mauvaise foie pour expliquer les problèmes actuels de l'hôpital ne vaut vraiment pas la peine qu'on s'abaisse à le commenter.

Non, le point qui m'a fait trépigner de colère comme une gamine à qui on refuse un jouet, c'est cette petite phrase, glissée l'air de rien : on peut affecter quelqu'un pour faire les sorties de patients et décharger les infirmières de ça.

Je respire un grand coup...

Et puis non : mais qu'est ce que c'est que cette idée de chiotte nom d'une pipe en bois d'olivier ?!!!

Encore une fois notre Ministre nous prouve qu'elle ne comprend pas le dixième de notre profession, qu'elle nous voit comme de simples exécutants.

Qui pour lui expliquer que quand un patient rentre à domicile, il ne suffit pas de lui tamponner un bout de papier et enroulé c'est pesé (et encaissé surtout) ?

Qui pour lui expliquer que ce retour peut être source d'angoisse pour certain ? Que notre rôle est de comprendre pourquoi et d'apaiser ces angoisses.

Qui pour lui expliquer qu'il faut "éduquer" le patient avant qu'il ne se retrouve livré à lui même avec une liste de traitements qui peuvent générer des effets secondaires plus ou moins gênants ?

Qui pour lui expliquer qu'il faut apprendre au patient à reconnaître certains signes d'alertes de l'apparition d'une phlébite ou d'une embolie pulmonaire ?

Qui pour lui expliquer qu'il faut un minimum connaître son patient, son mode de vie, son hospitalisation, pour faire tout ça correctement ?

Qui ?

Et surtout, vers quel type d'organisation allons nous ?

Aujourd'hui on parle de quelqu'un dédié aux sorties. Demain on ajoutera quelqu'un dédié aux entrées , puis une autre personne aux traitements, une aux tensions, une aux prises de sang. Quand on ne sera pas sage on nous enverra aux coprocultures ou recueils d'urines.
Il va sans dire qu'on aura tout bonnement oublié de désigner quelqu'un à la relation d'aide ou à l'éducation thérapeutique. D'ailleurs qu'est-ce donc ça ?

Ce mode d'organisation ne porte qu'un nom : le travail à la chaîne.

Je m'imagine dans l'usine de soins du futur. On arrive au travail, on prend les 400 tensions à prendre du bâtiment et on repart. Parfois on se télescope avec l'infirmière qui fait les glycémies capillaires. D'autres fois il y a embouteillage dans la même chambre (c'est qu'on est toujours mal organisé), alors ça fou tout le timing en l'air, on fait baisser le rendement. Les infirmières qui posent les perfusions narguent les nulles qui ne prennent que les températures.

Les soignants avancent dans les longs couloirs et exécutent leurs tâches mécaniquement.
Parfois ils exécutent un patient. Vite ajoutez son numéro sur le planning du préposé aux mort !

Perso, ce jour, je postulerai dans une vraie usine...au moins les Dimanche y sont payés double.

Les Mondes parallèles



Nous, personnel soignant, avons une chance extraordinaire. Nous sommes une ressource cachée que personne ne pense à exploiter. Nous somme un indicateur d’humeur imparable, un observatoire sociologique hors paire (ouille mes chevilles !)
Nous avons ce pouvoir rare de voyager quotidiennement à travers des mondes parallèles.
A l’hôpital nous rencontrons des gens que nous n’aurions peut être jamais eu l’occasion de croiser à l’extérieur. A l’hôpital se regroupent des gens qui ne se croiseront jamais à l’extérieur.

L'hôpital, le microcosme accéssible d'une société trop vaste pour en inspecter tous les recoins.

Nous sommes constamment projetés d’un univers à un autre, d’une culture à l’autre, d’une personnalité à l’autre, et ce pour mon plus grand plaisir.
Du riche héritier au déshérité, de l’homme politique au SDF, du catholique à l’anarchiste, du voyou à la victime, du royaliste au communiste… Mon aiguille comme une perpendiculaire trace l’espace d’un instant un chemin entre ces mondes et le mien.
A travers mon kaléidoscope j’observe le monde qui m’entoure, le contraste de ses lignes et couleurs, la rugosité ou la douceur de ses matières. J’admire le tableau, c’est de l’art moderne. J’y repère les lignes discrètes qui relient entre eux les centaines d’éléments.
Caméléon le jour, je m’adapte au nouveau paysage que je découvre derrière chaque porte de chambre.
Le soir je me transforme en alchimiste. A l’heure des songes, les petits miroirs du kaléidoscope  se mélangent entre eux, formant un énorme bouillon de culture aux parfums de société.
Je sens les tendances, par déduction l’avenir devient une évidence : parfum de tristesse, parfum d’espoir…parfum de colère en ce moment. La révolte ne saurait tarder…


vendredi 25 janvier 2013

Quantifier le temps des soins : de la théorie à la réalité




Une des nombreuses causes du malaise soignant provient sans doute de cette tripotée d'administratifs, n'ayant aucune conscience des réalités du terrain et sur qui repose l'organisation de l'hôpital. Ces administratifs, le nez fourré dans des farandoles de chiffres vont déterminer entre autre le budget alloué aux embauches de personnel en tentant de quantifier le temps par acte de soins. C'est ainsi que l'on se retrouve dans des services surchargés en patients et sous-dotés en personnel.

Un petit aperçu ici de notre travail vu par les administratifs comparé à la réalité de la profession infirmière:

- La glycémie capillaire d'après un administratif :

L'infirmière prend son glucomètre, pique le doit du patient, analyse la goutte de sang.
Temps de l'acte : 2 minutes. C'est la théorie, froide et simple, dépourvue d'un facteur essentiel : l'humain.

- La glycémie capillaire dans la vraie vie :

Acte 1 : 15 minutes
Vous cherchez le glucomètre qui a encore disparu. Après avoir retourné tous les tiroirs du service en pestant, vous vous résignez à aller en mendier un chez Martine, l'infirmière de l'étage du dessus. Les négociations sont houleuses, plus difficiles que la demande d'un prêt immobilier sans apport et sans garants. Le glucomètre enfin obtenu, vous préparez votre petit plateau et vous rendez dans la chambre de Gertrude, 87 ans.

Acte 2 : 15 minutes
Gertrude est ravie. Elle s'apprêtait justement à "sonner" l'infirmière pour aller aux toilettes. Vous voilà donc à accompagner Gertrude et son attirail de perfusions. Par accompagner, entendez, soutenir tant bien que mal, un pas après l'autre, Gertrude, 103 kg, et tous ses dispositifs médicaux jusqu'à la salle de bain.

Acte 3 : 15 minutes : Gertrude a fini son affaire aux toilettes, vous l'avez installée au fauteuil. À la télé, Julien Lepers pose des questions. La pauvre Gertrude qui commence à trouver le temps long à l'hôpital, prise de mimétisme, vous en pose aussi. De plus en plus et de plus en plus personnelles. Professionnelle, vous vous lancez à pieds joints dans une relation d'aide et essayez d'orienter la conversation sur elle.

Acte 4 : 15 minutes
Vous vous mettez enfin à faire la glycémie de Gertrude qui a le réflexe de se frotter le bout du doigt aussitôt que vous l'avez piqué. Vous appuyez dessus pour ne pas avoir à repiquer la pauvre dame et tant bien que mal faites sortir une petite goutte de sang.
"0'90" vous vous exclamez, "c'est parfait".
Mais la Gertrude ne le voit pas de cet œil là, d'habitude elle est à 1,30. Elle craint l'hypoglycémie et insiste fortement pour que vous lui ameniez du sucre. Vous voilà bonne pour un semblant d'éducation thérapeutique pour dissuader votre patiente de s'empiffrer l'équivalent d'un magasin de bonbons.

Acte 5 : 15 minutes
Vous vous apprêtez à enfin sortir de la chambre et finir dare dare votre tour de 19h. Il est déjà 20h et vous n'avez vu que Gertrude. Vous vous apercevez alors que la perfusion ne passe plus. Après avoir essayé toutes les techniques non recommandées vous vous rendez à l'évidence : il va falloir reperfuser Gertrude. Et oui, il y a autant de veines sur les bras de Gertrude que d'aristocrates au Front de Gauche.

Acte 6 : 15 minutes
Vous sortez de la chambre, cette fois pour de bon. Vous croisez votre cadre qui vous attend de pied ferme un dossier à la main : "pourquoi vous n'avez pas fait l'inventaire des affaires du patient entré tout à l'heure ? L'image d'Omer Simpson étranglant son fils Bart vous traverse l'esprit. Au creux de votre estomac vous sentez votre ulcère s'agrandir.
Vous tournez la tête, cherchez une issue pour vous échapper et vous trouvez nez à nez avec Martine :"1h pour faire un dextro ! Ces jeunes ne savent vraiment plus travailler ! cantonne t-elle devant votre cadre.

Et c'est toujours comme ça. Et j'exagère à peine. Alors quand nos dirigeants s'aperçoivent qu'il y a des problèmes d'organisation manifestes dans les services, que font-ils ?

Cherchez bien....

Ils rognent encore sur le budget du personnel soignant pour embaucher encore plus d'administratifs !

À toutes les Gertrude qui méritent d'être soignées avec humanité/i>

samedi 19 janvier 2013

Des capotes en psychiatrie

La sexualité pour tous



Hier la cour d'appel administrative de Bordeaux a condamné un hôpital psychiatrique de Gironde pour avoir interdit à ses patients d'avoir des rapports sexuels.

Un événement qui n'est pas tombé dans les oreilles d'une sourde, m'étant heurtée moi-même il y a quelques années à tous les hôpitaux et cliniques psychiatriques de Paris, à l'exception d'un, alors que je faisais des recherches sur la prévention des infections sexuellement transmissibles en psychiatrie.

La sexualité en psychiatrie est un sujet tabou

Premier constat, la sexualité en secteur psychiatrique dérange. Il ne faut pas en parler, faire comme si elle n'existait pas. Seul un cadre de santé a accepté de me recevoir sur tout Paris pour interroger ses équipes à ce sujet. Vieux restes de pudibonderie de notre lourd passé de nonnes ? Fantasmes sur une sexualité débridé du "fou"? Infantilisation ?
La réponse la plus courante et la plus spontanée quand j'évoquais le sujet avec les infirmières était "que l'hôpital était fait pour se soigner et pas pour ça". Ce ça plein de pudeur parlait de lui même. La sexualité en psychiatrie est un sujet tabou.

Fermer les yeux plutôt que d'en parler.

Deuxième constat, fortes de cet argument , les équipes ne se sentaient pas alors spécialement concernées par ce sujet. L'hôpital n'est pas un lieu de vie me disaient t-elles. Pourtant, certains patients sont là depuis des mois, voire des années. Peut-on leur refuser ce besoin naturel ? Et quid de notre mission de santé publique ? En admettant que l'hôpital ne soit pas l'endroit où avoir des relations sexuelles, ne peut-on pas profiter du séjour d'un patient à la personnalité vulnérable pour faire de la prévention sur ce sujet ? Notre but n'est t-il pas de rendre notre patient autonome à son retour à domicile ?

Le rôle infirmier dans l'autonomie sexuelle des patients

on désigne par autonomie sexuelle le fait de savoir se protéger physiquement, savoir dire non, reconnaître ses désirs et ses limites. Nombres de pathologies mentales mettent à mal cette autonomie sexuelle. Pourtant cette dimension n'est que trop rarement (voire jamais ?) prise en compte dans le parcours de soins infirmiers. Résultat : on retrouve un taux d'infections sexuellement transmissibles, d'agressions sexuelles et de viols supérieur chez cette population que dans la population générale.

"Autoriser" les rapports sexuels en milieu psychiatrique, une question de responsabilité

Troisième constat : les infirmiers ont peur des dérives. Tous ont eu une mauvaise expérience en rapport avec la sexualité des patients. Un grand nombre relate des cas de prostitution en échange de cigarettes, des cas de rapports non consentis chez des patientes incapables de dire non, des cas de grossesses non désirées.
Les infirmiers semblent craindre de passer à côté de situations problématiques et d'en être tenus pour responsables.

Une obligation à la prévention pour un droit à la sexualité sans danger

Il ne me paraît pas correct d'interdire les rapports sexuels en psychiatrie. Comme l'a rappelé la cours administrative d'appel de Bordeaux, le droit à la sexualité fait partie intégrante de la convention européenne des Droits de l'homme.

Cependant, après mes recherches je pense que la question mériterait d'être un peu plus approfondie par les autorités de la santé. Condamner sans se pencher sur les réels problèmes de fond et sans rien proposer en retour ne sert à rien.

La responsabilité de chacun, soignants et patients doit être clairement définie.
La prévention des infections sexuellement transmissibles doit être personnalisée et obligatoire. Distribuer des préservatifs entre deux portes, au bon vouloir des soignants et de la direction n'est pas suffisant dans ce secteur.
De même, des formations doivent être mises en place pour les soignants afin d'accompagner de manière individualisée chaque patient vers une autonomie sexuelle.