Ou comment les economies à l'hopital peuvent mettre les patients en danger.
Les dangers des restrictions budgétaires à l'hopital |
Service de chirurgie d'un CHU. La nuit. Seize patients, la moitié en isolement pour bactéries multirésistantes (infection nosocomiale? Le mot est tabou.)
Une infirmière, une étudiante. D'habitude il y a une aide-soignante, mais "ils" l'ont placée dans un autre service, la stagiaire pouvant faire son boulot.
L'encadrement ? La responsabilité ? Ça demande du temps et du personnel alors autant s'asseoir sur ce coussin rempli de billets grâce à toutes ces petites économies. Il fait mal aux fesses le coussin, mais on met parfois un peu de temps pour s'en apercevoir.
Ce soir là, j'ai entre autre une perfusion d'antibio à poser. Soin banal, ordinaire. De ces soins les plus dangereux finalement tant on le fait par automatisme.
Je vais voir mon patient, allume la veilleuse et pose la perfusion en Y sur le robinet. On papote un peu, de tout de rien, la nuit, loin des tumultes de la journées, les angoisses reprennent le dessus et les langues se démêlent. Je m'apprête à quitter la chambre du patient quand soudain ce dernier m'interpelle : " qu'est ce qu'il se passe ? C'est normal ça ?" Il me montre son bras, du sang remonte dans la tubulure jusqu'au robinet.
J'accoure, je clampe tout, essaye de comprendre d'où vient le problème: le patient n'a pas malencontreusement été perfusé en artériel (si, si ça arrive!), la tubulure est bien vissée au bout du robinet. Tout à l'air d'être en place. J'allume la grande lumière pour y voir plus clair, et là je vois l'étendu des dégâts : de grosses tâches de sang sur le lit, une marre de sang sur le sol. Je ne sais pas qui de moi ou du patient est le plus blême. Je le déperfuse, prend ses constantes, le surveille: le patient se porte bien.
Dans le poste de soins, j'examine "à la loupe" le dispositif de perfusion : là au niveau du robinet, sur la partie en plastique dur, une minuscule fissure et un trou. Le robinet était cassé, créant un appel d'air qui aspirait le sang du patient. Je suis survoltée, nous avions déjà signalé que ces nouvelles tubulures, achetées quelques centimes moins chères que les précédentes, étaient de mauvaise qualité, le débit soit trop lent, soit trop rapide étant impossible à régler correctement. Je fais part de l'incident à la cadre qui ne veut rien savoir, c'est moi qui ne sait pas me servir d'un robinet et qui l'ai cassé. C'est vrai que j'ai l'air d'une grosse brute avec mes 50 kg toute mouillée et j'ai certainement la force de Hulk puisqu'on attend de moi que je mobilise toute seule des patients de 150 kg. Quand bien même avais-je cassé le robinet, est ce normal qu'un dispositif médical puisse se détériorer si facilement sans que l'on s'en apperçoive ? On s'en fou c'est le moins chère!
Et si je n'étais pas restée avec le patient ce soir là ? S'il s'était endormi sans se rendre compte de rien ? S'il avait fait un malaise avant de pouvoir m'appeler ? Je l'aurai retrouvé quelques heures plus tard, mort, gisant dans son sang. Tout ça pour un micro-trou dans un robinet de tubulure. Tout ça pour quelques économies aux dépens de notre santé et de notre sécurité.
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