dimanche 18 novembre 2012

Il fallait faire de la finance ma pauvre dame!

Ou comment culpabilise t-on les infirmières pour leur faire accepter leurs conditions de travail.


une infirmiere n'a pas besoin d'argent



Annonce de pôle emploi pour un poste d'infirmière à domicile, 7h par jour, une dizaine de patients maxi, salaire minimum à 2300 brut. Je postule, je suis embauchée.

D'emblée le salaire se transforme en1500 net, bref passons. Les horaires sont coupées d'une pause de 3h entre 12h et 15h : ok je suis conciliante j'aime bien faire la sieste et j'ai le temps de repasser par chez moi.

La dizaine de patients se transforme en 20 à 24 patients par jour. La tournée à pied (donc pas d'indemnités de transport ou d'essence) s'avère impossible à réaliser dans le temps imparti tant les patients sont éloignés les uns des autres géographiquement.... Je commence à avoir mal aux dents à force de les serrer et la moutarde me monte fortement au nez. Je demande un rendez-vous avec la directrice pour lui faire part de ces problèmes.

 Une jeune femme en tailleur et talons aiguilles me reçoit dans son bureau bien chauffé. Elle a un sourire carnassier forcé.Un peu celui qu'on retrouve chez les commerciaux et VRP. Je lui demande, au vue des conditions de travail qui sont totalement différentes de ce qu'on m'avait présenté, une réévaluation de salaire.

"Quelles conditions de travail? Vous êtes super bien loties ici! "

 Je lui explique alors les kilomètres parcourus à pieds, qu'il vente, qu'il grêle, qu'il neige...

 " allons allons crazy little nurse, nous ne sommes pas au pôle nord ici !" 

j'enchaîne sur le nombre énorme d'heures sup ni payées ni rattrapables que je suis obligée de faire...

"oui mais bon on n'est pas regardant les jours où vous terminez votre tournée plus tôt ! "

hum, c'est possible ça ?
J'argumente alors sur les horaires coupées qui font que même si je suis aux 35 h, l'amplitude de travail s'étale sur 50 ...

Et là c'est le pompon, j'apprends que ces 3 h de pause, je dois de toute façon avoir le téléphone allumé et pouvoir débarquer rapidement chez le patient en cas de besoin. Ça fait donc 50 h par semaine, payées 1500 soit 6,91 euros de l'heure après presque 4 ans d'études. La directrice campe sur ses positions, ces heures n'ont pas à être payées, ni indemnisées, ça fait partie de, je cite " l'état d'esprit d'une bonne infirmière d'être disponible pour ses patients". Voilà comment la hiérarchie vous fait culpabiliser et vous fait passer pour une mauvaise professionnelle afin de vous fermer le clapet quand il est question d'argent.

Et puis "ma petite crazy little nurse, il ne faut pas vous plaindre, 1500 euros par mois c'est très bien à votre âge. Vos collègues les femmes de ménage sont beaucoup moins payées que vous! "

Je commence à voir rouge, cette bonne femme qui doit avoir 5 ans de plus que moi se fout ouvertement de ma gueule. Je lui rétorque que à 1% d'augmentation par an et une inflation de 3% , non 1500 ce n'est pas assez pour moi, d'autant plus qu'on vit dans une région où tout est extrêmement cher, et que ce n'est pas en acceptant ça que "nos collègues les femmes de ménage "auront la chance d'être un jour payées dignement.
Au passage, je ne savais pas que le coût de la vie était indexée sur l'âge. A mon âge, je paye justement mon loyer, mes charges, ma nourriture comme les autres.

 Elle ne s'attendait pas à ça, elle me regarde la bouche ouverte, quelques secondes de flottement dans l'air et me lance :
 " mais mademoiselle, si vous vouliez faire de l'argent, fallait faire de la finance!"

Insulte suprême pour une infirmière, dont les motivations pour exercer cette profession sont aux antipodes de celles qu'aurait un courtier en bourse.

L'argent: un tabou chez les infirmieres

Moralité :

- une bonne infirmière n'a pas besoin d'argent pour vivre, elle n'aura de toute façon pas le temps de le dépenser.

- une bonne infirmière ne parle pas d'argent : tout le monde a le droit de se faire du fric sur le dos de la santé mais nous, nous n'avons pas le droit d'exiger un salaire convenable.

- une bonne infirmière travaille bénévolement si on refuse de la payer. Après tout ce métier est une vocation, n'est-ce pas ?

- une bonne infirmière n'aime pas l'argent. L'argent c'est sale, c'est beurk, c'est caca, ça empêche de faire son métier correctement et l'infirmière travaille pour la gloire, surtout pas pour vivre.

- si vous n'êtes pas d'accord avec les affirmations ci-dessus c'est forcement que vous vous êtes trompé de voie. Vous auriez du faire de la finance, pas de juste milieu.


Je reste persuadée que s'il y avait plus d'hommes dans la profession infirmière, l'argent ne serait plus un tabou.

Pour connaitre la véritable valeur des pieds des infirmières, c'est ici


2 commentaires:

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