1942 : Paris occupé. Rosette fête ses 20 ans. Rosette entre en résistance. Elle prend tous les risques pour sauver son pays, pour refaire naître l'humain perdu dans les spirales de la haine. Haine devenue normalité à coups de propagande bien semée. Rosette est révoltée, mais Rosette est débutante. Rosette est arrêtée, enfournée dans un train bondé, vers une destination inconnue, vers un destin aujourd'hui tristement connu. Levée à 4h00, couchée à minuit, elle travaille sans relâche, la faim au ventre, la soif à la gorge, la peur au corps. La mort lui pend au nez, dans tous les sens du terme. Rosette sera une survivante, une miraculée.
2012 : Paris en crise. Juliette fête son diplôme. Juliette signe un CDI. Elle s'investit énormément dans son nouveau métier, accepte toujours plus sans broncher, pour refaire naître l'humain perdu dans le diktat du rendement. Diktat devenu normalité à coups de matraquage télévisé. Juliette est indignée mais Juliette est débutante. Juliette est vite happée par la routine, à force de courir pour s'enfourner dans le premier train bondé, à force de courir pour faire son travail à temps, à force de courir toujours tout le temps vers un avenir incertain, elle ne résistera pas longtemps.
Un jour Juliette croise Rosette. Rosette a 90 ans, elle n'a plus toute sa tête, Juliette non plus d'ailleurs.
Rosette est institutionnalisée, levée à 8h, couchée à 18h. On l'alimente, on l'hydrate, on la lave, on panse ses plaies incicatrisables, on la pose devant un ascenseur, on l'alimente, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur , on l'alimente, on l'hydrate, on la pose devant un ascenseur, on la change, on la couche. On la maintien en vie. Une vie étourdissante. Elle n'y survivra pas.
Juliette archive le dossier de Rosette. Et pour la première fois, elle prend le temps. Elle prend le temps qu'elle n'a pas de lire en détails l'histoire de vie de cette grande dame. Des bribes de souvenirs éclaboussent sa mémoire endolorie. Quelques lignes qui la ramènent à l'affreuse réalité : qui est-elle ?
Juliette prends l'ascenseur, elle entre dans la chambre de Rosette . Son corps va bientôt être emmené. Elle la regarde. Elle porte sa plus belle robe. Elle voudrait lui dire tant de choses, lui demander pardon. Mais à quoi bon. Elle a le tourni. Sa main se pose sur son bracelet d'identification, elle éclate de rire, elle éclate en sanglots devant l'absurdité de la situation, l'absurdité de cette vie.
Merci Rosette.